La triste et célèbre affaire France Télécom connaît son épilogue avec la chambre criminelle de la Cour de Cassation. En effet, la plus haute juridiction française entérine l’arrêt de la Cour d’Appel qui a condamné les anciens dirigeants de France Telecom pour harcèlement moral institutionnel.
De quoi s’agit-il exactement ? De la mise en œuvre d’une politique d’entreprise qui vise à dégrader les conditions de travail des salariés pour atteindre tout type d’objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier.
A) Les faits à l’origine de l’affaire :
En l’espèce, la privatisation de France télécom en 2004 (devenu Orange depuis) s’est traduite par une modification importante des méthodes de travail et plusieurs plans de restructurations annoncés en 2006. Ces derniers avaient notamment pour objectif la suppression de 22 000 postes ainsi que la mobilités de 10 000 salariés (sur un total de 120 000 salariés) sur une période de 3 ans. Durant ce laps de temps, l’entreprise a connu une vague de suicides et de tentatives de suicide.
B) La décision des juges du fond :
Les ex dirigeants ont été poursuivis puis condamnés pour avoir mis en place une politique de déstabilisation visant à accélérer les départs au sein de l’entreprise. Ainsi, les juges du fond ont qualifié le procédé de harcèlement moral institutionnel. Ils ont fondé leur raisonnement sur la base des dispositions de l’article 222-33-2 du Code Pénal qui prévoit que : “ le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel”.
Contestant ces décisions, les anciens dirigeants ont formé un pourvoi en cassation en faisant valoir que ce type de harcèlement systémique, qui ne vise pas de salariés spécifiquement, n’était pas inclus dans le champ de la définition du Code pénal.
C) La position de la Cour de Cassation :
A contrario, la Cour de Cassation considère que les dirigeants d’entreprise peuvent se voir reprocher, au pénal, des faits de harcèlement moral résultant, non pas de leurs relations individuelles avec leurs salariés, mais de la politique d’entreprise qu’ils ont conçue et mise en œuvre.
Ainsi, la loi n’exige pas que les agissements répétés soient exercés nécessairement à l’égard d‘une victime déterminée, dès lors que celle-ci appartient à la communauté de travail qui a subi ou était susceptible de subir les conséquences du harcèlement moral.
Pour rappel, la caractérisation d’une infraction nécessite un élément matériel (comportement réprimé par la loi) et un élément intentionnel (attitude psychologique de l’auteur).
L’objectif visé était de créer délibérément des conditions de travail délétères pour pousser les salariés à démissionner, sans recourir à la procédure de licenciement pour motif économique. À cette fin, la politique d’entreprise qui avait été adoptée avait pour unique but de déstabiliser le personnel et de créer un climat professionnel anxiogène.
Concernant l’élément intentionnel, les anciens dirigeants “avaient connaissance des effets négatifs du maintien de la méthode adoptée sur la santé des agents du groupe et sur leurs conditions de travail”.
S’agissant de l’élément matériel, il s’est traduit par des actes positifs répétés durant plusieurs années, il s’agissait d’une “stratégie délibérée de harcèlement conçue au plus haut niveau de l’entreprise, au prix d’une dégradation assumée des conditions de travail de l’ensemble des agents”. En effet, l’objectif visé était de dégrader délibérément les conditions de travail afin de pousser les salariés à démissionner, évitant ainsi de recourir à la procédure de licenciement pour motif économique.
Plus particulièrement, 3 agissements ont été relevés :
- la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique ;
- la prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l’encadrement ;
- le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées.
Dès lors, les agissements reprochés “démontraient une conduite dépassant les limites admissibles de leur pouvoir de direction et de contrôle respectif”, ce qui caractérisait un harcèlement moral institutionnel.
Rappelons enfin que l’ancien président-directeur général avait, lors d’un discours de la convention de l’Association des cadres supérieurs et dirigeants de France Télécom en 2007, tenu les propos suivants «je ferai les départs par la fenêtre ou par la porte »…
Les préconisations à suivre pour les entreprises :
- Établir et appliquer une politique de prévention des RPS solide ;
- Former les décideurs internes à la prévention des RPS ;
- S’assurer que la stratégie de l’entreprise ne conduit pas à dégrader les conditions de travail ;
- Inclure réellement la direction des Ressources Humaines dans la définition de la stratégie de l’entreprise.